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La vie à l'envers
9 octobre 2008

Il pleut sur Paris

Il pleut sur Paris.

Je sors de ma voiture.

J'ouvre mon parapluie.

Je tremble un peu sous la fraicheur des gouttes.

Je sursaute sous le tonnerre.

Je traverse la rue.

J'ai rendez-vous à l'hôtel de Sers.

Je resserre la ceinture de mon trench noir, j'ajuste mon décolleté.

J'entre.

Je n'ai pas rendez-vous avec toi.

Je traverse le hall de l'hôtel.

Je m'installe.

J'avais réservé une table.

Je suis la première.

La terrasse est fermée, il a plu toute la nuit.

Je commande un thé, un earl grey.

J'observe.

Je regarde la terrasse.

Je repense à notre déjeuner ici.

Le premier.

Le matin, j'avais osé mettre ma petite robe blanche.

Je savais que tu regarderais mes cuisses dans la voiture.

J'avais envie de te plaire.

J'avais envie que tu me vois.

Et tu m'as vue.

Ce matin, un autre va venir.

Je l'attends un peu fébrile.

L'odeur de la bergamote embaume l'air.

Je trempe mes lèvres dans ma tasse de thé.

Je tourne la tête, il est là derrière moi.

Il m'embrasse doucement sur la joue.

Il me dit qu'il est heureux de me voir, enfin.

Il me dit que je suis rayonnante.

Il me dit qu'il attendait ce moment depuis des mois.

Il s'assoit.

Il commande un café.

Je l'observe.

Ses mains sont immenses.

Ils cherchent un livre dans sa mallette de cuir.

Il a un livre à m'offrir.

Il pense qu'il me plaira.

Il me tend un paquet en kraft.

Je ne l'ouvre pas.

Je ne comprends pas pourquoi je suis ici avec lui.

Je sais que désormais il pense que tout est possible.

Je vois dans ses yeux qu'il me désire intensément.

Comme depuis le premier jour ou nos regards se sont croisés.

J'avais ouvert la porte, il était entré, il venait voir mon mari.

Je les avais laissé seuls.

Il m'avait alors longuement détaillé, ses yeux suivaient mes pas, mes attitudes.

Je me souviens que mes joues s'étaient empourprées.

Il me troublait.

Puis il avait fermé la porte, j'avais entendu ses pas dans l'escalier.

Et plus rien.

J'étais abasourdie.

Ce n'était pas le moment.

Je n'avais pas le droit de m'autoriser ses sentiments là.

Et ce matin, il est devant moi.

Il est tout à moi.

Il ne sait pas que c'est trop tard.

Il ne se doute pas qu'un autre est venu.

Il n'imagine pas qu'il partira la tête basse.

Il sourit, conquérant, attendant que je déchire l'emballage en kraft.

Mais je prends mon temps.

Je ne suis pas pressée, personne ne m'attend au bureau.

Je commande une orange pressée.

Je le dévisage.

Il est très séduisant, il est grand, massif.

J'aime son regard clair, le dessin de ses lèvres, son odeur musquée.

C'est lui qui me parle en premier.

Il veut tout savoir depuis notre dernier déjeuner.

Le déjeuner du mois de Mars.

Nous avions passé de belles heures à discuter pour mieux nous connaître.

Il me plaisait alors véritablement.

Il m'avait raconté ses heures de gloire, le temps ou il était adulé par ses pairs.

Nous avions bu du vin, un Cahors, un peu fort.

Les heures étaient passées, il m'avait raccompagnée.

Sur le chemin, j'avais longuement pensé à lui.

Je m'étais persuadée de ne jamais le revoir.

Je l'ai revu souvent mais jamais seule.

Je suis avec lui mais je suis réellement avec toi.

Tu es loin de moi.

Tu ne sais pas ou je suis.

Je sais que tu serais déçu de le savoir.

Le livre est magnifique, les éditions La Pléiade, Marcel Proust évidemment.

A la recherche du temps perdu tome I.

Il me dit que les deux autres tomes suivront.

Sûrement.

Je lui réponds que non.

Son visage se ferme.

Le mien illumine.

C'est avec toi que je lirai les trois tomes.

Il insiste pour que je garde le livre.

Il m'explique qu'il a réfléchit longtemps avant de choisir l'auteur.

Il me dit que nos nombreuses discussions ont orienté son choix.

Il me caresse la main.

L'heure est venue.

Il va désormais tout me dire.

Je le sais.

Ses regards ne m'ont pas trompée.

Il me désire depuis le premier jour.

Il me demande si je suis heureuse d'être là avec lui ce matin.

Je lui réponds que ce matin il pleut, et que je n'aime pas la pluie avec lui.

Il sourit.

Il est magnifique.

J'aime son côté animal, la tendresse de son visage.

Je sais que nous pourrions savourer ensemble de beaux instants.

Il est à mes yeux un homme, solide, rassurant.

Il a les épaules larges.

J'aime les hommes rassurants.

Ses mains sont belles, elles glissent maintenant sur mon bras.

Il tient ma main fermement.

Il va supplier, implorer.

Je le regarde fixement.

Je m'entends dire qu'il faut que je parte.

Qu'on m'attend ailleurs, dans un chalet en Suisse au bord d'un lac.

Il me demande si j'ai un train à prendre, si il doit me déposer quelque part.

Je me lève.

Je l'embrasse.

Ses lèvres sont douces.

Ses yeux rougissent.

Il sait que ce baiser est le premier et restera le dernier.

Je ne me retourne pas.

Dehors il pleut toujours.

Je traverse la rue, je mouille mes pieds.

En entrant dans la voiture, je pense à toi.

Je m'aperçois que j'ai oublié le livre.

Lui est sous la pluie, ruissellant, il me regarde une dernière fois le livre sous le bras.

Je démarre, je roule vite.

Je traverse Paris, j'ai rendez-vous avec toi.

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Commentaires
V
J'ai fait le tour de tous ces billets, j'ai aimé l'écriture - Seulement souvent, je suis restée sur le dernier mot - Il s'en dégage une attente soumise, comme une suite qui ne viendrait pas -<br /> <br /> Merci pour ce moment passé par ici -<br /> Valériane.
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